Parmi les "gesticulations" et les "fanfaronnades" que je ne suis pas le seul à reprocher à notre Président, il en est une qui va me donner ici l'occasion de dire "ce que crois" au sujet du pouvoir politique, du pouvoir dans l'entreprise, et de l'interaction entre les deux.
Car même si je considère, je l'ai déjà suffisamment dit, que Nicolas Sarkozy est porteur du projet politique qui est sans doute le meilleur que la France ait eu à connaître depuis plusieurs décennies (ce qui ne présuppose pas, malheureusement, qu'il aura le courage politique de ses ambitions, et qu'il ira ainsi au bout de sa démarche), j'ai déjà dit aussi, mais peut-être pas assez fort quand j'y pense, que son style de communication, à la fois ne s'accorde pas avec la fonction qui est la sienne, et à la fois, ce qui est bien plus grave encore, le conduit à prendre publiquement des postures inadéquates (je pèse mes mots !) et peut-être (sans doute) pas assez (ou pas du tout ?) réfléchies.
Je ne vais pas faire une liste, même incomplète, de ces "incartades" médiatiques, et je n'en citerai que deux parmi les plus maladroites :
- la reconnaissance, lors d'une conférence de presse, de son souhait intime "de supprimer les 35 heures". Même si l'idée est évidemment bonne, la mesure est ressentie comme inacceptable par une grande partie de l'opinion, et il faut donc le faire... mais surtout sans le dire haut et fort !
- sa promesse de libérer une certaine Ingrid Bettancourt des mains des Farcs colombiennes, alors qu'il n'a évidemment pas le moindre pouvoir, pas même la moindre influence, ni sur les responsables des Farcs, ni sur le président colombien (qui se fout d'Ingrid Bettancourt comme d'une guigne), ni non plus sur le président Chavez, qui s'est rendu incontournable dans cette affaire mais qui se fout à son tour de Nicolas Sarkozy comme d'une guigne lui aussi. Il ne s'agit que d'une lutte d'influence entre des forces purement latino-américaines où la diplomatie française n'a aucune place, Ingrid Bettancourt étant ressentie là-bas comme une Colombienne et pas du tout comme une Française. Il n'y a d'ailleurs qu'en France que l'on pense autrement. Cette "Franco-Colombienne" est avant tout, là bas, une ex-opposante au régime de Bogota, et pas autre chose...
Voilà deux exemples qui illustrent bien les prises de position indéfendables dont notre Président est malheureusement coutumier. Mais c'est une troisième "bourde" que je veux évoquer aujourd'hui : sa promesse faite aux sidérurgistes d'Arcelor-Mittal que l'état investirait sur le site de Gandrange pour sauver les emplois menacés par le projet de fermeture partielle. Je ne vois pas très bien sur quelle base légale, et encore moins sur quelles bases légitimes, il pourrait le faire...
L'usine sidérurgique de Gandrange appartient à une entreprise privée, Arcelor-Mittal, et c'est la direction de cette entreprise qui a pris la décision d'une fermeture partielle du site, pour des raisons de rentabilité qui lui appartiennent et que nul n'est en droit de juger, et en tout cas de décider, à sa place. Or, le Président se comporte dans cette affaire comme si l'Etat était encore l'actionnaire majoritaire de l'entreprise Arcelor, qu'il était avant la cession à l'Indien Mittal... En fait, je pense que, plus exactement, ici comme dans d'autres contextes qui peuvent y être apparentés, l'état, et en particulier le Président, n'ont pas encore fait leur deuil d'un système heureusement révolu.
Je l'ai déjà dit et je ne vais pas y revenir ici, la vocation de la puissance publique, et de l'état en particulier, n'est pas d'entreprendre. Et quand il fait, il le fait le plus souvent mal... Dans le cas qui nous intéresse en tout cas, le pas est franchi et l'état n'est plus le patron. Il n'a donc plus aucun pouvoir sur la gouvernance de l'entreprise, et je réitère par parenthèse que c'est très bien ainsi.
Comme dans toute entreprise de droit privé, le patron, c'est à dire le décideur, est bien évidemment le propriétaire de ladite entreprise, c'est à dire l'actionnaire (ou l'ensemble des actionnaires majoritaires). C'est donc lui qui gère en toute souveraineté. Et l'état n'a strictement rien à y voir tant que les lois de la République, le droit du travail notamment, sont respectées.
Vouloir peser sur la gouvernance de l'entreprise relève donc purement et simplement de l'abus de pouvoir. Malgré cette évidence, le Président persiste et signe en indiquant, par la voix de Luc Chatel, porte-parole du gouvernement, qu'il "fera un certain nombre de propositions, pour l'emploi des salariés, pour la formation, sur l'investissement industriel sur le site" lorsqu'il recevra les syndicats ce jour. De quel droit Monsieur le Président ? Et pourquoi l'autre Président, celui d'Arcelor, Lakshmi Mittal, se devrait-il de tenir compte de vos "propositions" dans la gestion de son entreprise ?
En tout état de cause, et même si je peux comprendre que la fermeture partielle de cette usine puisse être effectivement un traumatisme économique pour nombre des salariés concernés, je considère pour ma part que les finances de l'Etat, c'est à dire nos impôts, n'ont pas à être dilapidés dans des interventions de ce type dans la sphère privée. Arcelor-Mittal est suffisamment puissante et en bonne santé financière pour mener à bien sa restructuration, et n'a aucunement besoin d'une aide publique pour y parvenir.
En outre, il semblerait que bon nombre des salariés de Gandrange puissent être reclassés dans d'autres usines du groupe, et notamment à Florange, à 9 km de là... Où est le problème, sauf de crédibiliser a posteriori la posture paternaliste de Nicolas Sarkozy le 4 février dernier ?
Autre point important : "L'Etat préfère payer pour le site que pour le chômage", a dit le Président dans cette même intervention du 4 février. D'accord avec lui sil s'agissait d'aider une entreprise en difficulté à se sortir de son mauvais pas, et ainsi à préserver l'emploi. Ce n'est absolument pas le cas d'Arcelor-Mittal, qui n'a pas besoin d'aide, mais dont la décision relève d'un choix managérial qui ne regarde que lui, et qui consiste à déplacer une partie de l'activité sur un autre site plus rentable. L'intervention de l'Etat, même si elle était acceptée par le groupe Mittal, ne serait donc pas une aide à l'emploi, mais une simple prise de participation financière qui, outre qu'elle serait bien évidemment dans le collimateur de Bruxelles, relèverait d'un interventionnisme à la fois d'un autre âge et de très mauvais aloi ...
Pour résumer :
- L'Etat n'est jamais dans son rôle quand il tend à interférer dans les décisions d'une entreprise privée, quelle qu'elle soit.
- Les finances publiques n'ont jamais à être utilisées pour intervenir, directement ou indirectement, dans la gestion d'une entreprise de droit privé.
- Les organes de direction d'une entreprise sont le seul maître à bord et les grandes décisions doivent être prises par eux et sous leur responsabilité, en concertation avec les organisations représentatives du personnel évidemment quand la loi le prévoit, mais sans l'intervention de la puissance publique dont ce n'est absolument pas le rôle.
- La liberté et le non-interventionisme sont l'une des bases les plus indispensables du nécessaire développement de la création d'entreprises dans ce pays, où elle fait cruellement défaut.
- Le rôle des pouvoirs publics, légalement comme légitimement, se limite au contrôle indispensable du respect des diverses législations en vigueur.
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Nous sommes responsables des deux...
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lundi 7 avril 2008
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