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lundi 5 octobre 2009

L'illusion de la concurrence

Un conseil extraordianire des ministres européens de l'agriculture se réunit aujourd'hui à Bruxelles, à la demande de la France. Il s'agit notamment de débattre de la politique européenne en matière de production laitière après la suppression totale de la politique des quotas à l'horizon 2015.

Les difficultés que rencontrent les producteurs de lait, en France mais pas seulement, faisait la Une de l'actualité il y a peu encore, avec des manifestations, défilés de tracteurs, et déversements de lait en plein champ.

Quant à moi, j'ai déjà eu l'occasion de parler du sujet ici. Je ne retire rien de ce que j'écrivais alors. Le problème n'a pas évolué depuis, et je maintiens que les quotas laitiers, comme toutes les contraintes légales en matière de production, qu'elles viennent de Bruxelles ou d'ailleurs, n'ont aucune justification objective.

De deux choses l'une : ou bien elles sont efficaces, et les producteurs n'ont aucun besoin de la législation ni de la réglementation pour les mettre en oeuvre en tant que chefs d'entreprises avertis, ou elles ne le sont pas et, par définition, elles n'ont pas lieu d'être. Dans les deux cas, le résultat est le même, et elles ne sont que la manifestation nuisible d'un interventionnisme qui ne satisfait personne, qui entrave la liberté d'entreprendre, et qui faussse le marché sur les quantités comme sur les prix. In fine, elles aboutissent à l'inverse de leur but et sont la source de tous les mécontentements et tous les désordres.

A la base, une exploitation agricole est une entreprise comme les autres : l'agriculteur ou l'éleveur, tout comme l'industriel, a pour but, à partir d'une matière première, de générer un produit fini et de le vendre en faisant un bénéfice. Une exploitation agricole, tout comme une usine, doit donc s'adapter à son marché, et ses prix de vente sont tributaires du jeu de l'offre et de la demande : si la demande est supérieure à l'offre, les prix montent; et si c'est le contraire, les prix baissent. C'est du moins comme cela que les choses devraient se passer "dans un monde parfait". Et c'est sur ce modèle que repose la politique économique de l'Union Européenne, qui érige en principe la libre concurrence.

Le libéral que je suis est totalement d'accord avec ce principe. Encore faut-il être conscient que nous ne vivons pas dans le "monde parfait" dont je parlais plus haut. Encore faut-il voir que, s'il est condamnable de mettre en oeuvre des pratiques qui faussent la concurrence entre les différents producteurs et qu'il convient de lutter contre, ces pratiques-là ne sont pas toutes du fait des producteurs, et qu'il convient cependant de les prendre toutes en compte !

Nous vivons et nous commerçons dans un monde globalisé, mais, même à l'intérieur de l'Europe, les règles ne sont pas identiques d'un pays à l'autre. La libre concurrence est, partant, totalement illusoire à bien des égards. Même au sein de l'Union Européenne, les régimes fiscaux, les cotisations sociales, les règles environnementales, sont bien souvent totalement différents, et l'ensemble de ces disparités fausse irrémédiablement les prix de revient. Et ce désordre, déjà important à l'intérieur de l'Europe, est considérablement plus important encore avec certaines parties du reste du monde.

Si nous continuons à ne juger les règles de libre concurrence qu'à un bout de la chaine, c'est à dire le marché, sans nous intéresser à l'autre extrémité, c'est à dire la production, nous aboutirons inexorablement à l'asphyxie des producteurs qui exercent dans les zones où les coûts sont les plus élevés, c'est à dire chez nous. La concurrence est alors totalement faussée avant même que quiconque ne vienne introduire des aides ou des quotas quelconques.

A l'intérieur de l'Union, il devrait être possible de se mettre d'accord sur des règles fiscales, sociales et environnementales, sinon identiques du moins harmonieuses. Avec le reste du monde, la solution est illusoire. Il n'est qu'à voir les disparités qui nous séparent de la situation en Chine, en Inde, en Amérique du Sud... Et cette liste est loin d'être close. Or, les règles de libre concurrence telles que prêchées par l'Union Européenne ou l'OMC ne tiennent aucun compte de ces disparités de contraintes et de coûts.

Au lieu de réclamer à cor et à cris encore plus de régulation, encore plus de quotas, encore plus de subventions, encore plus d'interventionnisme et de dirigisme, qui ont tous montré leur inefficacité et leurs conséquences nocives sur la vie des entreprises et sur l'économie en général, c'est soit la préférence communautaire qu'il faut instituer, soit, sous une forme ou sous une autre, le rétablissement de l'égalité des chances à la production entre nos entreprises et les autres.

Mais qui aura le courage de défendre cette position devant les instances internationales, à commencer par la Commission et le Conseil européens, puis l'OMC ?

Faute de cela pourtant, la sacro-sainte libre concurrence qui est le catéchisme de Bruxelles restera une illusion, et ne pourra que conduire à leur perte, nos producteurs laitiers puisque c'est eux dont il s'agit aujourd'hui, mais aussi toutes nos autres entreprises dès lors qu'elles entrent en compétition avec des pays qui n'appliquent pas nos contraintes. Et ce ne seront surtout pas les marges de la distribution qui pourront en aucune manière compenser la différence, comme le prêchent à tort les organisations agricoles aujourd'hui...

13 commentaires:

  1. Suis pas sûr que votre article ci-dessus aurait remporté un franc succès si vous aviez été le distribuer aux producteurs de lait de l'Europe réunis aujourd'hui à Bruxelles pour une manifestation disons...musclée.

    jf.

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  2. Je suis même sûr du contraire ! Ils se trompent de combat, et ne font que réclamer ce qu'ils nomment une régulation, et qui ne serait, comme d'habitude, que des aides artificielles ou des contraintes dirigistes, autant de mesures interventionnistes aussi nocives qu'inefficaces.

    La solution ne consiste pas à contraindre le marché, mais à corriger les inégalités dues aux déséquilibres internationaux en matières fiscale, sociale, peut-être environnementale, et j'ajouterai monétaire. La non-convertibilité de la monnaie chinoise, par exemple, est un véritable scandale qui donne à ce pays un avantage commercial insupportable dans un contexte de soit-disant libre échange.

    Je ne suis pas sûr que cette remarque concerne directement le problème du lait, mais mon billet ne traitait pas des seuls producteurs laitiers : c'est tout le commerce international qui est concerné.

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  3. ET vous pensez quoi des 2 milliards que Sarko vient de sortir de ses poches trouées pour les PME ???

    jf.

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  4. Vous me posez la question alors que vous connaissez la réponse, mais enfin...

    Il va sans dire que je suis totalement contre ce genre d'aides. La bonne solution n'est jamais l'interventionnisme (surtout avec des fonds que l'on n'a pas).

    J'ai admis une seule exception ponctuelle et pragmatique à ce principe pour ce qui concernait l'aide exceptionnelle dont les banques ont eu besoin lors du déclenchement de la crise financière actuelle. Il s'est agi alors d'éviter l'effondrement de l'économie que des causes similaires avaient entraîné dans les années 30.

    Mais, hors situations dramatiquement exceptionnelles comme celle-là, la bonne solution consiste encore et toujours à ne pas fausser les règles naturelles du fonctionnement de l'économie, que ce soit par des aides (mal) ciblées ou par des prélèvements obligatoires outranciers.

    Le mal être des PME, aggravé par la crise dont je viens de parler, est dû avant tout au coût très exagéré du travail, avec les charges exorbitantes qu'il supporte, et à la fiscalité confiscatoire. Il va de soi que les PME ne sont pas les seules concernées : les grandes entreprises d'un côté, et les particuliers de l'autre, n'en sont pas moins victimes.

    A force de vouloir aider (?!...) les citoyens et l'économie, on asphyxie les uns et les autres.

    Alors 2 milliards, pourquoi pas ? Il faudrait même beaucoup plus ! Mais pas de cette manière ! Pas avec de la monnaie de singe que l'on reprendra sous une autre forme un jour ou l'autre. Mais en cessant de spolier, et en décrétant enfin les mesures d'économies dont la puissance publique se montre jusqu'à présent incapable.

    Il est vrai que c'est beaucoup plus difficile et moins "dans l'air du temps". C'est pourtant la seule manière de redresser (un peu) la barre...

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  5. @René : Là, je ne suis pas d'accord avec le commentaire "J'ai admis une seule exception ponctuelle et pragmatique à ce principe pour ce qui concernait l'aide exceptionnelle dont les banques ont eu besoin lors du déclenchement de la crise financière actuelle"
    Lorsque l'on voit les salaires de nos "Banquiers" avec majuscule, les primes et autres auxquelles ils ont eu droit malgré la crise, les résultats de certaines institutions, je dis que Nicolas aurait mieux fait d'injecter cet argent dans une relance à la consommation !
    Pour l'article, 100% d'accord, ce n'est pas à coups de subsides que l'on rétablira une certaine "Libre Concurrence". Et ce n'est pas non plus en GASPILLANT outrancièrement des millions de litres de lait !!!

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  6. S'il y a un secteur où la logique ultra libérale est vouée à l'échec, c'est bien celui du lait. La régulation est nécessaire pour ne pas plonger nos paysans dans la misère. Aberrant aussi la différence entre le prix auquel le producteur vend son lait et le prix que paye le consommateur.

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  7. @ Axel

    Vous n'êtes pas le seul à tenir ce raisonnement en ce qui concerne les banques (et je n'ai pas dit les banquiers). Mais vous n'êtes pas le seul à vous tromper.

    Je suis totalement d'accord avec vous pour dire que les rémunérations des banquiers, en ce qu'elles sont prélevéees sur les aides de l'Etat, sont scandaleuses. Plus exactement, c'est le fait qu'elles soient prélevées sur les aides publiques qui est scandaleux.

    Mais en l'absence de ces mêmes publiques, les mêmes banquiers n'auraient pas pu se payer aussi grassement car, pour la majorité d'entre eux, leur banque n'existerait plus (cf Lehman Brothers). Accessoirement, leurs clients les plus vulnérables seraient eux-aussi gros-Jean comme devant.

    Je maintiens donc que les aides publiques aux banques ont été un mal nécessaire.

    Quant à une éventuelle relance par la consommation, réclamée à cor et à cris par PS et consorts, c'eût été la mauvaise solution, comme ça l'a toujours été. Relancer artificiellement la consommation est toujours un coup d'épée dans l'eau : c'est distribuer de la "monnaie de singe", puisque prélevée sur une production à venir qui ne viendra pas. Jamais une telle relance n'a permis à une économie de repartir. On ne peut pas efficacement distribuer des richesses qui n'ont pas été produites. Et qui ne le seront pas, puisque une part importante des dépenses courantes concernent des produits d'importation, ou de réimportation, dont la production ne bénéficie dont nullement à l'activité nationale.

    Au contraire, une relance dite "par l'investissement", bien qu'elle ne produise ses effets qu'à plus long terme, est plus de nature à renforcer les capacités, la rentabilité et la compétitivité de l'outil de production, et donc à favoriser une reprise de l'économie, notamment en favorisant les exportations.

    Ceci étant, je ne suis jamais, pour ma part, favorable à l'intervention des finances publiques dans la sphère économique privée (à l'exception notable de ce que je viens de redire pour les banques). Ce n'est à mon sens qu'en laissant vivre les entreprises créatrices de richesses et d'emploi, sans les asphyxier par une fiscalité abusive et des charges insupportables, qu'elles auraient une vraie chance de surmonter les crises au bénéfice de tous.

    @ tintin

    Je ne vous répondrai que sur un point. Vous connaissez mon point de vue sur le reste, point de vue que je viens de réexpliciter à l'intention d'Axel.

    La différence de prix entre la production (ou les importations) et la distribution est en effet scandaleuse. Il serait pourtant illusoire de penser que ce sont les seules marges des distributeurs qui sont en cause comme le serinent les syndicats agricoles. Les coûts, d'industrialisation et de distribution, sont également, à coup sûr, à incriminer. Ici encore, ce sont essentiellement les impôts, taxes et charges en tous genres, qui créent ce résultat scandaleux.

    Mais de ça, qui en parle ? Il est tellement plus facile de taper sur les distributeurs, ou de réclamer des "prix garantis", que l'on peut préférer appeler "régulation" si on y tient, c'est à dire encore une fois des compensations financières, lesquelles seront forcément alimentées par l'impôt, et donc données d'une main puis reprises de l'autre !

    Quand comprendra-t-on, dans ce pays, que ce n'est qu'en produisant qu'on crée de la richesse ? Quand comprendra-t-on que l'argent de l'Etat (ou de l'Europe, c'est à dire des Etats qui la composent) est l'argent des Citoyens, à qui on le prend pour le redonner sous une forme ? Quand comprendra-t-on que c'est"le chat qui se mord la queue", et qu'il s'agit d'un processus d'appauvrissement permanent ? Quand comprendra-t-on que ceux qui disent le contraire, soit sont des ignorants, soit se foutent de leurs concitoyens ?

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  8. @René : J'avoue m'être très mal expliqué quant aux aides à la relance, votre explication est celle que je voulais donner, pour moi une relance de la consommation n'est pas en injectant des deniers publics mais bien en laissant les entreprises vivre et créer des richesses et en évitant de les asphixier avec des taxes injustes et surtout très mal employées.
    @tintin : Je ne vois pas en quoi la production de lait ou de denrées agricoles diffère de la production de "Tetrapac" ou de boîtes pour les conserves. Le marché de l'offre et de la demande est le même pour le lait et pour tout produit fini.

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  9. Bonjour,

    Continuez allègrement à défendre des mesures d'équité,si le coeur vous en dit.
    Pour ma part j'ai la chance de vivre en Polynésie et d'avoir le choix du lait que j'achète. Je prend, comme la majorité ici, du lait de marque Anchor de Nouvelle Zélande, qui est infiniment meilleur en goût que les laits aux normes européennes et pour moins cher que les laits bidons bio d'alpage et autres niaiseries pour gogos. Et oui, leur goût dépend de normes pondues (teneur en graisses... par des crânes d'oeuf bruxellois).

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  10. @tintin,

    Aberrant aussi le prix auquel le médecin paie son carnet papier d'ordonnance et le prix de la consultation, aussi le prix du papier d'une carte grise et son prix de vente en préfecture...
    On se fait une liste à la Prévert?

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  11. @ Axel

    Je vois que nous sommes donc d'accord...

    @ wakrap

    Merci d'être passé par ici, et d'apporter votre contribution au débat.

    Je n'ai évidemment pas l'expérience de la Polynésie, pas plus que du lait de Nouvelle Zélande, mais je veux bien vous croire sur le plan de la qualité : là comme ailleurs, les réglementations pléthoriques, pondues la plupart du temps par des non-spécialistes, ne peuvent que mener à des abérrations.

    Quant aux prix, avez-vous des infos sur celui du litre de lait payé à l'éleveur néo-zélandais, et sur le niveau des charges qu'il supporte ? Ca pourrait être intéressant, comparativement à notre situation en Métropole.

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  12. Bonjour, ou plutôt bonsoir.

    Je regrette mais je suis bien incapable de répondre à cette question du prix du litre en N.Z.

    Tout autant que je suis incapable, et vous aussi j'imagine, de connaitre le prix du pneu sorti d'usine, de la tuile ...

    La N.Z est un pays qui a embrassé le libéralisme économique dans les années 80, grâce à un gouvernement de gauche non marxiste. Ce pays s'en est ainsi sorti alors qu'il plongeait, et en particulier dans le domaine agricole, toute forme de subvention a été interdite par la loi.
    Les agriculteurs, qui produisaient du mouton "dégueulasse" et subventionné et réglementé, se sont retrouvés du jour au lendemain face à l'alternative: faillite ou bien répondre aux attentes des consommateurs.
    La résultat a été magnifique et aujourd'hui ce pays possède certainement l'agriculture la plus performante en qualité et rendement.
    Si vous avez un jour la chance de visiter ce pays vous découvrirez des fermes qui ont toutes une activité secondaire: visite payante pour les familles avec enfants, avec présentation de animaux de ferme et d'élevage, tonte des moutons, fabrication du beurre, dépecage, un respect libéral de la nature et non écolo crétin à la Hulot.
    Un autre monde, ignoré dans les contrées lobotomisées par la doxa boboïde.

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  13. Voilà donc un exemple concret de ce que peut apporter à un pays (et à ses habitants) une politique de liberté économique et politique...

    Merci de vos précisions.

    A bientôt

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