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mardi 24 mars 2009

Liberté contractuelle et jugement moral

L'actualité est riche en prises de positions plus ou moins (plutôt moins que plus) réfléchies ou même admissibles au sujet des salaires des "patrons".

Le joyeux concert joué par les syndicats, le Medef, le gouvernement et même le Président est étonnant de cohérence ... et d'irrecevabilité, tant légale que logique, et j'oserais ajouter que morale, même si je considère que la morale n'a rien à faire dans les considérations d'ordre politique.

Car enfin, de quoi s'agit-il ?

Légalement, le dirigeant d'une entreprise, quelle que soit sa taille, est un salarié comme les autres. Son contrat de travail, conclu entre lui et son employeur, est un contrat de droit privé qui constate un certain nombre d'engagements réciproques et qui fait la loi des parties, dès lors évidemment qu'il ne contrevient pas aux lois et règlements en vigueur, et donc, en la matière spécifique, au Code du Travail. Et que je sache, ni les bonus ni les stock options ne sont contraires au droit du travail. Au contraire, ils sont expressément encadrés par lui...

Comme tout contrat, ce contrat de travail n'engage que ses signataires, à savoir l'entreprise d'une part, représentée par son Conseil d'administration, lui-même l'émanation de l'assemblée générale des actionnaires, et le salarié, en l'occurence le patron dont on parle. Il ne regarde, ce contrat, ni les syndicats (sauf peut-être, s'il le saisit, celui auquel ce patron est affilié), ni le Medef, ni le gouvernement, ni les journalistes, ni l'opinion publique.

Que ce soient la Société Générale, Valéo, ou n'importe quelle autre entreprise privée, il s'agit d'entités juridiques qui appartiennent à leurs actionnaires, lesquels jouissent donc par définition d'un droit de propriété sur leur bien, droit qui leur confère par nature l'exclusivité des décisions de gestion.

Le droit de propriété est un des fondements de base de notre droit, partie intégrante et fondatrice de la liberté individuelle, et il est proprement insupportable de voir à quel point il est contesté et bafoué à longueur de temps. En paroles le plus souvent. Mais en actes également, et en intentions de plus en plus précises ces temps-ci...

Je peux parfaitement comprendre l'émoi des citoyens, plongés dans la crise mondiale et dans les difficultés économiques qu'elle engendre pour le commun des mortels, devant les annonces de sommes qu'ils ressentent comme faramineuses, distribuées à ces patrons qu'ils appréhendent comme des nantis et qu'ils tiennent souvent pour responsables de la crise. Sauf cas particuliers, il n'en est rien mais ce sont là de bien pratiques boucs-émissaires expiatoires de tous les maux, et c'est presque par réflexe que les "petites gens" les montrent du doigt.

Je peux parfaitement comprendre l'erreur de ces citoyens-là. Je ne peux par contre absolument pas comprendre ceux qui abondent dans leur sens et qui propagent ainsi le sentiment que ce sont là des profiteurs dont les revenus sont monstrueux et illégitimes. C'est de la pure démagogie, et même s'il s'agit là d'un sport national, ça n'en est pas moins irritant...

Quelles sont les pommes de discorde ? Il y a trois sujets qui reviennent régulièrement pour être montrés du doigt et remis en cause :

1) Les bonus

Il s'agit d'une partie fluctuante du salaire, l'idée étant d'indexer cette part de la rémunération sur les résultats de l'entreprise. C'est en quelque sorte une prime à l'efficacité, et en cela je la trouve très intelligente.

Les seuls défauts qu'on peut lui reprocher : le bonus n'est pas traité comme un salaire : il n'est imposé qu'à 33 %, soit nettement moins que le salaire fixe, et il n'est pas soumis à cotisations sociales. Je considère pour ma part qu'il devrait être traité comme le reste du salaire.

En outre, il est par nature lié aux bons résultats de l'entreprise, et il n'a pas vocation à être versé lorsqu'elle présente de mauvais résultats.

2) Les "parachutes"

C'est une indemnité dont le montant est fixé par avance, à la signature du contrat de travail, versée lors de la rupture de ce contrat. L'idée est de prémunir le dirigeant concerné des conséquences d'un licenciement qui ne serait pas lié directement à sa gestion, comme cela se passe quelquefois lors de différents personnels avec un ou plusieurs actionnaires.

Sur le fond, je pense quant à moi que le risque existe bel et bien à ce niveau de responsabilités, et que cette pratique peut parfaitement se comprendre. Mais là encore, il est totalement anormal que ces "parachutes" soient versés en cas de résultats désastreux dues à la mauvaise gestion, voire en cas de malversations, comme on a pu l'entendre ça et là.

3) Les stock options

Il s'agit là encore d'une partie de la rémunération, mais versée sous forme d'une option d'achat d'actions de l'entreprise. Le bénéficiaire (le salarié) se voit offir la possibilité d'acquérir un certain nombre d'actions à un prix fixé dans l'accord, quel qu'en soit le cours de bourse au moment de l'achat effectif. Il peut ainsi être amené à réaliser une plus-value plus ou moins importante en fonction de l'évolution du cours de l'action. Par contre, il ne prend pas le risque d'une perte car il est évident qu'en cas de baisse du cours, il ne "lèvera" pas son option, c'est à dire qu'il n'achètera pas les actions.


Il s'agit d'un bon moyen d'intéresser le salarié à la bonne santé de son entreprise, tout en lui constituant un complément de revenus possiblement important. Il est tout à fait adapté à la rémunétration des dirigeants, la bonne marche de l'entreprise étant directment liée à la qualité de leur action à sa tête.

Le fonctionnement du dispositif est assez complexe. On en trouvera ici les détails. Personnellement, je regrette, à l'instar des bonus, que les plus-values réalisées sur ces "stock options" ne soient pas traitées comme un salaire, et ne soient soumises qu'à une fiscalité réduite.

D'une manière générale, je maintiens que dans ce pays les prélèvements obligatoires, et en particulier sur les salaires, sont ahurissants et confiscatoires. Je trouve cependant totalement anormal que tous ne soient pas traités de la même manière, d'autant qu'ici ce sont les plus hautes rémunérations qui se retrouvent avantagées.

Mais la tendance du discours actuel n'en reste pas moins scandaleuse, en ce sens qu'elle tend à dire ouvertement que l'état serait fondé à intervenir dans des décisions et des accords qui relèvent du domaine contractuel, c'est à dire du libre exercice de la liberté d'un propriétaire (celui de l'entreprise, c'est à dire l'actionnaire) à disposer de son bien.

Tant que les stipulations d'un contrat, quel qu'il soit, ne sont pas contraires à la loi, leur mise en application ne relève que des parties contractantes, et les velléités d'interventions étatiques martelées ces temps-ci sont proprement exaspérantes.

On peut parfaitement concevoir, évidemment, que les aides publiques du plan de relance anti-crise du gouvernement, dont il y aurait beaucoup à dire par ailleurs, sous forme de prêts ou de subventions, soient conditionnées à tel ou tel abandon des bonus, stock options et autres "parachutes dorés". Il est totalement inadmissible en effet, de mon point de vue, que l'argent du contribuable serve à alimenter les compléments de revenus des dirigeants des entreprises en difficulté. Encore faudrait-il pour cela que le contrat qui est passé entre l'entreprise aidée et l'état le stipule expressément. Est-ce que c'est bien le cas ?

On ne peut pas concevoir, par contre, que l'état s'érige en Commandeur et dicte leur conduite à des entreprises indépendantes, qui par ailleurs ne demandent rien au Trésor Public, dans le cadre de l'application des contrats qui les lient à leurs dirigeants. Pas plus que cela ne soit concevable de la part du Medef, et encore moins des syndicats de salariés.

Qu'une loi vienne à être votée pour aller dans le sens de telles interdictions dans des entreprises en difficulté, ou qui licencient, ou qui ont recours à des mesures de chômage partiel, comme il est envisagé, peut paraître moralement fondé à certains. Politiquement néanmoins, il s'agirait cependant d'une ingérance difficilement acceptable dans la gestion et la gouvernance des entreprises. Et en tout état de cause, il n'est pas admissible que ces dispositions s'appliquent aux contrats existants, contrairement à ce à quoi s'attendent, n'en doutons pas, tous ceux qui aspirent à une telle révision de la législation.

Si le droit de propriété et la liberté d'entreprendre veulent encore dire quelque chose dans ce pays, il faut s'insurger par avance contre toute incursion des pouvoirs publics dans le domaine contractuel. Ce serait un scandale sans précédent si le législateur, sous l'impulsion de l'opinion relayée par l'exécutif, osait bafouer ainsi les principes fondamentaux du droit.

Une fois de plus, on assiste à une montée en puissance de l'idée selon laquelle la morale devrait inspirer la loi. La morale est subjective et fluctuante. Le propre de la loi est d'être pérenne et de s'appliquer à tous. Les deux sont donc antinomiques. Chaque fois que le législateur, en France comme ailleurs, s'appuie sur la morale pour se déterminer, on assiste à une dérive totalitaire. Le sujet qui m'occupe aujourd'hui ne fait pas exception à la règle.

Un dernier mot pour ajouter que, à titre personnel, je considère que les dirigeants d'une entreprise en difficulté, a fortiori si elle est amenée à réduire ses effectifs ou à recourir à des mesures de chômage partiel, n'ont aucune légitimité morale à se voter de telles indemnités, même contractuelles. Mais j'ai bien parlé seulement de légitimité morale. Légalement, ces indemnités leur sont dues contractuellement. Nul n'est fondé à les en priver de force.


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5 commentaires:

  1. @René,

    A propos des boucs émissaires et autres victimes expiatoires, c'était justement l'objet de mon billet d'hier.

    Il est réconfortant de voir que l'irrationnel n'est pas partagé par tous, et vous comme d'autres se battent contre les idées reçues et le panurgisme ambiant.

    http://blog-ccc.typepad.fr/blog_ccc/2009/03/pendezles-haut-et-court-.html

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  2. Je viens de lire votre article : nous sommes bien en phase en effet...

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  3. « On peut parfaitement concevoir, évidemment, que les aides publiques du plan de relance anti-crise du gouvernement, dont il y aurait beaucoup à dire par ailleurs, sous forme de prêts ou de subventions, soient conditionnées à tel ou tel abandon des bonus, stock options et autres "parachutes dorés". Il est totalement inadmissible en effet, de mon point de vue, que l'argent du contribuable serve à alimenter les compléments de revenus des dirigeants des entreprises en difficulté. »

    Voilà. L'État est devenu actionnaire de la Société générale à hauteur de 8 %. Il a annoncé qu'il s'opposerait au versement de bonus. C'est son droit d'actionnaire le plus strict en effet.

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  4. Bonsoir Roman,

    Je suis tout à fait d'accord avec toi sur le fait que l'état est actionnaire à hauteur de 8 % chez la Société Générale.

    A ce titre, il est totalement fondé à exercer son pouvoir d'actionnaire. Mais ses 8% ne lui suffiront pas pour emporter la décision. On peut le regretter ou s'en féliciter, mais il reste qu'en dehors de ces 8 % de droits de vote (est-ce vraiment le cas, d'ailleurs ?), il n'est fondé à aucune décision ni aucune pression.

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  5. Nous sommes bien d'accord sur ce point, tu le sais.

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